Adrien de Tricornot, "Le copier-coller, une fraude risquée. Universités et grandes écoles sensibilisent les étudiants aux règles de citation des sources dans leurs travaux.", en Le Monde, 23.09.2015:
Depuis plusieurs semaines, les établissements regroupés au sein de l’université de Lyon sensibilisent leurs étudiants au plagiat. Présentée sous forme de bestiaire – le mouton, le perroquet ou le caméléon –, leur campagne distingue divers profils de plagiaires, involontaires, négligents ou fraudeurs graves.
Pour éviter le copier-coller brut, universités et grandes écoles mettent l’accent sur le respect des règles de citation des sources. Pierrick Bedouch, maître de conférences en pharmacie à l’université de Grenoble, a abordé le sujet avec ses étudiants dès la rentrée. « On essaie de faire de la pédagogie, car nous sommes surtout confrontés à de la maladresse », explique-t-il.
« Manque de rigueur et négligence »
« La plupart des étudiants que nous prenons la main dans le pot de confiture collectent des documents et ne savent plus à qui ils appartiennent, ce qui trahit un manque de rigueur et une négligence dans la manière de travailler. Nous leur montrons qu’il existe des logiciels de référencement gratuits, comme Zotero, permettant de retrouver la source et de la présenter selon les règles : auteur, date, éditeur… », renchérit Alain Gay, référent antiplagiat à l’école d’ingénieurs lyonnaise Isara.
Les plagiats « simples » – sans référence à la source – sont les plus massifs. Ils sont d’autant plus facilement découverts que des logiciels de détection de « similitudes » permettent de comparer les textes rendus par les étudiants et ceux publiés sur la Toile. Tant que l’on en reste aux devoirs à rendre en contrôle continu, le droit à l’erreur peut encore être reconnu. « Le code de l’éducation ne traite que des cas les plus graves, soit quelques-uns par an dans une école comme la nôtre, poursuit M. Gay. Pour les autres, nous avons toute une gradation : rappel à l’ordre, note de 0 sur 20, travail à refaire, avertissement… avant d’en arriver au conseil de discipline avec exclusion. Mais cela reste une situation exceptionnelle. »
« Ruptures de style flagrantes »
Mais un diplôme de master ou de doctorat peut être invalidé si la fraude est prouvée, et ce, sans délai de prescription. A Grenoble, les thèses et les masters de recherche sont systématiquement téléchargés avant leur soutenance afin de réaliser une « analyse de concordance » avec Compilatio, un logiciel développé il y a dix ans en partenariat avec l’université de Savoie. « Cela permet de repérer de potentielles maladresses de citation et d’identifier des cas de fraude qui peuvent être traités en section disciplinaire », explique M. Bedouch.
Utilisé – au moins en partie – par neuf universités sur dix, Compilatio détecte aussi, depuis la rentrée 2015, une technique connue pour masquer les copier-coller, consistant à insérer des caractères « blancs » entre les mots. Pour autant, reconnaît Anne Hamel-Lacroix, responsable marketing pour ce logiciel, les paraphrases ou les traductions de texte passent encore à travers ses mailles.
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« Le fond du problème, c’est le plagiat des doctorants et des enseignants-chercheurs, qui n’est pas traité sérieusement », souligne Jean-Noël Darde, ancien maître de conférences à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis et auteur du blog « Archéologie du copier-coller ». Or les thèses plagiées se repèrent, car elles comportent souvent « des ruptures de style flagrantes et des emprunts que les universitaires, spécialistes de leur domaine, auraient dû déceler », explique Dominique Maniez, auteur du livre Les Dix Plaies d’Internet (Dunod, 2008) et enseignant à l’institut de la communication (ICOM) de l’université Louis-Lumière-Lyon-II.
Michelle Bergadaà, experte internationale dans le domaine du plagiat académique, enseignante à l’université de Genève où elle anime Responsable, un site collaboratif spécialisé, note une évolution : « Il y a dix ans, 90 % des enseignants-chercheurs ne comprenaient pas la gravité d’un plagiat de thèse de doctorat en France. Aujourd’hui, c’est l’inverse. »
« Néanmoins, ajoute-t-elle, cette forme de délinquance au savoir n’est pas encore sanctionnée convenablement, car la loi est insuffisante concernant les publications académiques : elle ne renvoie qu’à la notion de contrefaçon. Un plagié devrait donc faire un procès, ce qui lui ferait perdre du temps et de l’argent. » Passible d’une interruption de parcours universitaire et d’une condamnation pour non-respect du droit d’auteur, ce « sport » dangereux reste néanmoins des plus risqués.
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